CHAPITRE II - OÙ IL S’AGIT DE RÉVEILLE-MATIN

— Maintenant où allons-nous les mettre ?

Le dîner était terminé et sir Oswald proposa une partie de bridge. « Proposa » n’est pas le terme exact, car sir Oswald, ainsi qu’il convenait à un « Roi de l’industrie » (n°7 de la série 1), avait simplement exprimé une préférence et ceux qui l’entouraient s’étaient hâtés de déférer à son désir.

Rupert Bateman et lui étaient partenaires contre lady Coote et Gerald Wade, ce qui était parfait.

Sir Oswald jouait au bridge comme il faisait tout, c’est-à-dire extrêmement bien, et il aimait avoir partie liée avec quelqu’un qui fût digne de lui. Or, Bateman était aussi bon joueur qu’excellent secrétaire. Tous deux se contentaient de proférer des phrases laconiques : « Deux sans atouts », « Je contre », « Trois piques », tandis que lady Coote et Wade causaient aimablement. Le jeune homme ne manquait jamais de dire à la fin de chaque coup : « Partenaire, vous avez admirablement joué », ce qui paraissait fort encourageant à lady Coote ; ils avaient d’ailleurs d’excellentes cartes. Le groupe de jeunes gens était supposé en train de danser aux sons de la T.S.F. dans le grand salon mais, en réalité, tous étaient rassemblés devant la porte de Gerald.

— Disposons-les en rang sous le lit, répondit Jimmy à la question de Bill.

— Et à quelle heure allons-nous les régler ? Tous ensemble ou à intervalles réguliers ?

Ce détail fut chaudement discuté ; les uns déclarèrent que, pour un dormeur tel que Wade, les huit sonneries combinées étaient indispensables ; les autres que mieux valait un long effet soutenu. Ce furent ceux-ci qui l’emportèrent et les réveils furent réglés de manière à sonner l’un après l’autre, en commençant à 6 h 30.

— J’espère, fit Bill, que ce sera une bonne leçon pour lui.

Ils disposèrent les huit pendulettes sous le lit lorsque Jimmy s’écria :

— Chut ! quelqu’un monte l’escalier… Oh ! ce n’est que Pongo.

Bateman, qui était « mort », en profitait pour aller chercher un mouchoir dans sa chambre.

Il s’arrêta, comprit la situation et fit une réflexion d’ordre pratique :

— Il entendra les tic-tac lorsqu’il ira se coucher.

Les conspirateurs s’entre-regardèrent.

— J’ai toujours dit que Pongo était intelligent, déclara Jimmy d’un ton admiratif.

L’homme intelligent s’éloigna.

— C’est vrai, fit Ronny Devereux, ces huit réveils vont faire beaucoup de bruit et même quelqu’un d’aussi niais que Gerry s’en apercevrait…

— Je me demande s’il l’est autant qu’on le croit, dit Jimmy Thesiger.

— S’il est autant quoi ?

— Aussi bête que nous le supposons.

Ronny le regarda avec étonnement :

— Voyons, nous le connaissons tous !

— Est-ce bien sûr ? interrogea Jimmy. J’ai quelquefois pensé que… qu’il n’était pas possible à qui que ce soit d’être aussi borné que Gerry veut en avoir l’air.

Tous le regardèrent et le visage de Ronny devint grave.

— Jimmy, déclara-t-il, vous avez un cerveau.

— Comme Pongo, ajouta Bill.

— Oh ! je viens seulement de songer à ce que je vous ai dit, fit Jimmy comme pour se défendre.

— Voyons ! Ne cherchons pas tous à être spirituels, s’écria Socks. Qu’allons-nous décider ?

— Voici Pongo qui revient ; demandons-lui ce qu’il faut faire, proposa Jimmy.

Bateman, consulté, répondit :

— Attendez qu’il soit couché et endormi, puis entrez sans bruit dans la chambre et déposez-les sur le plancher.

— Il a encore raison, fit Jimmy. Emportons-les chez nous, puis descendons pour ne pas éveiller les soupçons.

La partie de bridge n’était pas encore terminée, mais sir Oswald jouait maintenant avec sa femme à laquelle il indiquait consciencieusement toutes les erreurs qu’elle commettait. Lady Coote acceptait ses remontrances avec bonne humeur, mais sans y attacher le moindre intérêt et elle répéta plusieurs fois :

— Je comprends, mon ami, vous êtes fort aimable de me donner ces conseils, tout en continuant à faire exactement les mêmes fautes. De temps à autre, Gerald disait à Pongo :

— Bien joué, partenaire, très bien joué.

Bill Eversleigh faisait des hypothèses avec Ronny Devereux :

— S’il se couche vers minuit, au bout de combien de temps penses-tu que nous pourrons entrer ? Une heure ?

Il bâilla et ajouta :

— C’est bizarre, habituellement je ne m’endors guère avant trois heures du matin mais, ce soir, parce que je sais que je vais être obligé de veiller, je donnerais n’importe quoi pour pouvoir aller me coucher !

Tous déclarèrent qu’ils éprouvaient la même impression.

— Ma chère Maria, disait sir Oswald avec une légère irritation, je vous répète sans cesse qu’il ne faut pas hésiter lorsque vous allez tenter une impasse, car vous renseignez vos adversaires.

Lady Coote aurait pu répondre victorieusement que son mari étant « mort » n’avait pas le droit de faire des réflexions sur son jeu ; mais elle ne dit rien, se pencha en avant et regarda les cartes que tenait Gerald Wade, assis à sa droite. Ses incertitudes ayant été apaisées par la vue de la reine, elle joua le valet, fit la levée et déclara :

— Quatre tricks et la manche ; j’ai eu de la chance !

Lady Coote rassemblait des billets et des pièces de monnaie.

— Je sais que je ne joue pas bien, déclara-t-elle d’un ton morne qui cachait une satisfaction évidente, mais je suis heureuse aux cartes.

— Vous ne serez jamais une véritable bridgeuse, Maria, déclara sir Oswald.

— Non, mon ami ; vous me le dites sans cesse, pourtant je fais beaucoup d’efforts !

— Incontestablement, murmura Wade, et elle ne s’en cache même pas. Elle poserait sa tête sur votre épaule si elle n’avait pas d’autre moyen de voir dans votre jeu !

— Je sais bien que vous essayez de faire des progrès, déclara sir Oswald, mais vous n’avez pas le sens du bridge.

— Oui, mon ami… mais vous me devez encore dix shillings, Oswald.

— Vraiment ? fit celui-ci.

— Oui. Dix-sept cents points font huit livres dix shillings et vous ne m’avez donné que huit livres.

— Oh ! je vous demande pardon !

Lady Coote sourit tristement et prit le billet que lui tendait son mari. Elle l’aimait beaucoup, mais elle n’avait pas l’intention de lui faire cadeau de dix shillings.

Sir Oswald s’approcha d’une table et offrit du whisky et soda à ses hôtes. Il était minuit et demi et on échangea des souhaits de bonne nuit.

Ronny Devereux, dont la porte était voisine de celle de Gerald Wade, fut chargé d’appeler les conspirateurs au moment voulu et, à deux heures moins le quart, il alla frapper discrètement aux portes des chambres. Les jeunes gens vêtus de pyjamas et les jeunes filles enveloppées de robes de chambre s’assemblèrent en riant et en murmurant.

— Il a éteint sa lumière il y a environ vingt minutes, déclara Ronny. J’ai entr’ouvert sa porte et je crois qu’il dort.

Chacun alla chercher son réveille-matin ; puis une nouvelle question se posa. Il s’agissait de savoir quelle serait la personne qui entrerait et les placerait dans la chambre.

Les trois jeunes filles furent écartées parce qu’on déclara qu’elles riraient certainement. Bill Eversleigh fut éliminé à cause de son poids qui lui donnait un pas lourd. Jimmy et Ronny furent discutés mais, à la fin, la majorité se décida en faveur de Rupert Bateman.

— Il a toujours marché comme un chat, fit Jimmy ; de plus, si Gerry se réveillait, Pongo trouverait une excellente explication à lui donner.

— Quelque chose de spirituel, déclara Socks.

— Justement.

Pongo accomplit sa tâche avec adresse ; il ouvrit sans bruit la porte de la chambre et se glissa à l’intérieur en emportant deux réveille-matin, puis revint vers le seuil où on lui en remit deux autres et il répéta encore deux fois cette manœuvre.

Lorsqu’il reparut enfin, chacun retint sa respiration pour écouter. Celle de Gerald Wade se faisait entendre avec régularité, mais elle était presque noyée par le tic-tac des huit pendulettes achetées dans le bazar Murgatroyd.

Les Sept Cadrans
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